souveraineté alimentaire


Pourquoi les légumineuses, aliments aux multiples vertus nutritives, ne nécessitant pas d’intrants chimiques, et jouant un rôle de fertilisants naturels des sols, ont-elles disparu de nos menus, alors que nous en consommions 7kg par an et par habitant en France avant la guerre?

Le système agro-alimentaire qui s’est développé depuis le milieu du XX.s. est une fois de plus à pointer du doigt : il a orienté les consommateurs vers un nouveau régime alimentaire constitué d’aliments transformés, très rentables pour les industriels, très couteux en termes de production de gaz à effet de serre, et très dégradés quant aux qualités nutritives.
En éliminant les protéines végétales au profit des protéines animales, signe de richesse et d’intégration à la société de consommation, les Européens mangent finalement indirectement plus de 60kg de soja par an et par habitant: la viande et des produits laitiers dont ils raffolent sont produits à partir d’animaux nourris à base de soja  provenant pour les trois quart au minimum d’outre-Atlantique, causant des dégâts environnementaux majeurs liés à la déforestation et à l’emploi de produits chimiques sur les cultures de soja, majoritairement OGM. A travers leur consommation de viande produite à bas coût, les consommateurs ignorent qu’ils sont devenus les complices d’un  écocide dans les pays en développement : c’est ce qu’a mis en lumière le Tribunal Monsanto au printemps 2017, au terme d’une et de témoignages qui ont prouvé des taux de décès élevés chez les populations rurales exposées notamment aux épandages de pesticides sur les cultures OGM.

Le système agro-alimentaire, fardeau pour la planète et pour les populations les plus vulnérables

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Nous avons lu avec intérêt la tribune parue lundi 15 mai dans Le Monde et intitulée « En Afrique, l’innovation financière est une clé pour une révolution doublement verte » signée par Clément Chenost et Adrien Henry, directeurs d’investissement de Moringa Partnership. A SOS Faim, ONG d’aide au développement intervenant sur les questions agricoles, plusieurs expressions et certains concepts ont retenu notre attention, notamment ces deux phrases :  « les fondations, les gouvernements et les bailleurs, en plus d’apporter une aide sous forme de dons, de prêts préférentiels ou de garanties, pourraient créer des incubateurs pour aider les premiers pas des start-up du secteur. Ces incubateurs pourraient devenir des pépinières reliant les investisseurs aux projets qui répondent à leurs attentes en matière de rendement financier et d’impact environnemental« .

Oui, ces deux phrases, à l’image de toute la tribune, nous ont amenés à nous poser des questions sur la réalité que les auteurs évoquent ou plus exactement telle qu’ils la perçoivent… Nous nous sommes demandés s’ils avaient déjà entendu parler de l’agriculture qui nourrit une très large part de la population africaine : l’agriculture familiale. Ont-ils pris le temps de s’entretenir avec les hommes et les femmes qui, en Afrique de l’Ouest, du Centre, de l’Est ou encore du Maghreb, s’engagent dans des coopératives ou des syndicats ? Ont-ils déjà échangé avec des agriculteurs et des éleveurs sur la réalité de leur vie et de leurs activités ? Sur les capacités d’adaptation et d’innovation dont ils ont fait preuve depuis des décennies malgré le démantèlement de tous les dispositifs publics d’appui à l’agriculture ? Sur leur capacité à gérer une très grande complexité dans laquelle se combinent paramètres sociaux, culturels, politiques et économiques ? Sur leurs contraintes : dans leur accès à des services publics de qualité pour leurs familles ou à des infrastructures en bon état dont l’absence pénalise gravement leurs activités économiques ? Sur leur difficile accès à des services financiers de proximité adaptés, le plus souvent inexistants ? Sur leurs batailles pour des politiques publiques consistantes qui répondent à leurs besoins et leur permettent de mieux produire, mieux vendre et donc vivre décemment ? Sur leur combat pour lutter contre des politiques commerciales internationales qui font la part belle à la concurrence déloyale et à une honteuse spéculation qui enrichit une poignée et en affament des millions ? Sur les défis qui se posent à eux en matière de structuration et de formation (conseil agricole), notamment à la base, dans les villages ; mais aussi en termes d’insertion économique des jeunes et de création d’emplois non agricoles en milieu rural ? MM. Chesnot et Henry ont-ils déjà entendu parler de la souveraineté alimentaire et du droit à l’alimentation ?

Nous nous demandons finalement quelle est la finalité de cette tribune truffée de mots à la mode et empreinte d’une approche exclusivement technique et financière qui fleure bon la culture des cabinets de conseil : s’agit-il de trouver des réponses à la complexité des défis qui se posent aujourd’hui aux agricultures africaines et à celles et ceux qui la font vivre ? Ou plutôt de séduire des investisseurs à l’affût de nouvelles niches de profit estampillées « développement durable » ? MM. Chesnot et Henry sont-ils réellement convaincus que la force transformatrice des agricultures africaines viendra des investisseurs privés étrangers, des start-up et autres incubateurs pépiniarisés ? Si oui, font-ils le pari que les populations rurales et les paysans en particulier en sortiront gagnants ?

Puissent les agriculteurs africains et les organisations qui les représentent se montrer très vigilants vis à vis de ce genre d’initiatives car si, par chance, elles ne desservent pas avec brutalité leurs intérêts de citoyens et d’acteurs économiques, nous doutons fort qu’elles contribuent à améliorer leurs conditions de vie et leurs droits.

Pour notre part, nous pensons que l’avenir des agricultures et des systèmes alimentaires en Afrique doit avant tout être construit par les Africains eux-mêmes, avec des politiques publiques volontaristes et ambitieuses qui promeuvent la souveraineté alimentaire et le droit à l’alimentation, tout en protégeant les paysans des processus de prédation divers ; avec des organisations de producteurs agricoles fortes qui reçoivent le soutien nécessaire pour développer une gamme de services adaptés aux besoins de leurs membres et participent à la mise en œuvre des politiques qui les concernent; avec des financements privés adaptés qui soutiennent autant les activités de production que les réseaux de petites et moyennes entreprises agro-alimentaires ; avec des dispositifs de formation de qualité et pérennes qui aident les jeunes à s’installer ; avec enfin des politiques commerciales équitables et des politiques d’aide au développement, de long terme, qui promeuvent la durabilité sociale et environnementale, la redevabilité et la responsabilisation des acteurs qu’elles sont censées soutenir.

Pour nous, si révolution il doit y avoir c’est celle du système de l’aide : un système de l’aide rénové qui replace les enjeux politiques au centre des processus de développement et fait la part belle aux approches systémiques. Une révolution qui considère avant tout les paysans comme des citoyens acteurs de changement et non comme des bénéficiaires de projets ou d’investissements.

Nedjma Bennegouch, responsable des partenariats à SOS Faim

La fin des quotas laitiers européens en 2015 a entrainé une chute vertigineuse des prix … et une hausse massive des exportations. Les producteurs européens ne gagnent plus leur vie… et les petits producteurs laitiers africains sont laminés par l’afflux de lait en poudre à bas coût.

 

En chute vertigineuse depuis deux ans, le prix du lait payé aux éleveurs européens ne couvre plus les coûts de production et le nombre d’exploitations en situation de cessation d’activité ne cesse de croitre. Dans le même temps, les chiffres du commerce extérieur européen des produits laitiers affichent une dynamique insolente avec un excédent commercial de 8,7 milliards € en 2015 et des produits laitiers français qui s’enorgueillissent d’être « des champions de l’export : sur 10 litres de lait collectés, 4 sont exportés ! »

Quel est ce système agro-alimentaire où l’excédent commercial laisse penser qu’un secteur se porte bien ?

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Évaluées à  quelques 202 millions d’hectares par la Banque mondiale, les terres agricoles africaines font l’objet de projets d’investissements étrangers croissants, mais qui n’ont que peu à voir avec l’amélioration des conditions de vie des populations locales.

 

L’association Alternative Espace Citoyen basée au Niger nous alerte sur un accord de partenariat public/ privé pour l’obtention d’un bail concernant 120 000 hectares de terres agricoles et pastorales dans le bassin du lac Tchad, terres largement occupées et utilisées aujourd’hui  par des petits producteurs et éleveurs. Dans un pays classé au dernier rang selon l’indice de développement humain (IDH), où la superficie moyenne des exploitations agricoles est seulement de 4,12 hectares, et où les rendements ne suffisent pas à couvrir les besoins alimentaires des ménages, la démarche des investisseurs venus du Royaume Saoudien est jugée suspecte. La société privée saoudienne Al Horaish se propose d’investir plusieurs milliards de franc CFA à travers une filiale nigérienne pour développer un projet d’agrobusiness recouvrant la plus vaste zone d’implantation jamais envisagée au Niger.

Plusieurs organisations de la société civile du Niger soutiennent le rapport de l’Observatoire sur le droit à l’alimentation et la souveraineté alimentaire au Niger, qui estime qu’en l’absence d’une étude d’impacts, les pouvoirs publics doivent prendre en considération trois principaux risques associés à de tels projets d’aménagement. Le principal risque est celui de voir « l’orientation vers les agro-carburants ou l’exportation» pénaliser « la sécurité alimentaire tout en ayant de faibles retombées fiscales pour les États»;  ensuite, celui de voir les investissements à  grande échelle provoquer « une crise des systèmes d’agriculture familiale en accentuant la pression sur les terres, et en provoquant une exclusion de l’élevage ».DSCN3345 Ultime risque, celui que « la forte mécanisation introduite dans le sillage de ces entreprises réduise l’emploi agricole et accélère ainsi l’exode rural ».

 

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Cette incantation prononcée par Ibrahima Coulibaly en décembre 2014 a malheureusement trouvé un écho prophétique avec les récents naufrages des bateaux de réfugiés où 156 de ses compatriotes maliens ont trouvé la mort.

Invité par SOS Faim au Luxembourg fin 2014 en sa qualité d’Ambassadeur spécial des Nations Unies pour l’Année Internationale de l’agriculture familiale, Ibrahima Coulibaly avait tiré la sonnette d’alarme face à la montée des périls en Afrique de l’Ouest : « Les jeunes n’ont pas accès à une éducation, ils n’ont pas la santé, ils n’ont pas un emploi digne ; ils ne croient plus à l’agriculture par ce qu’ils ont vu leurs parents pauvres toute leur vie. Ils entendent que l’Europe c’est l’eldorado ; ils prennent le bateau et cette tendance va augmenter avec l’Accord de Libre-échange (APE) que l’UE entend imposer aux pays d’Afrique de l’Ouest ; c’est la pire des catastrophes, le pire scénario pour la simple raison que, si cet accord est mis en œuvre, ce qui ne fonctionne pas dans nos pays aujourd’hui va davantage s’aggraver ! Car, quand vous ne pouvez pas vendre ce que vous produisez, pourquoi produire plus ?! » Et d’ajouter : « Il y aura bientôt des milliers de bateaux qui vont partir vers l’Europe ; si on détruit les seules sources de revenus qu’on a, que vont faire les jeunes ? Soit ils vont venir en Europe, soit ils vont prendre les armes ! »

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I. Coulibaly, Luxembourg, 4 décembre 2014

Reflet des opinions des Organisations paysannes d’Afrique de l’Ouest et plus largement de nombreuses organisations des sociétés civiles, les propos d’Ibrahima Coulibaly sont basés sur l’expérience des 30 dernières années : « Avant, on pouvait se nourrir uniquement avec les productions nationales, mais la Banque mondiale a imposé les programmes d’ajustement structurels à partir des années 80 et a effacé l’Etat au profit du libre-marché ; c’est alors que les vrais problèmes ont commencé pour nos paysans. »
Incapable de remettre en cause le dogme du libre-marché, malgré sa faillite patente à sortir les pauvres de la pauvreté, l’Union Européenne poursuit sur sa lancée! Pire, elle se contente d’une approche sécuritaire (la sécurité de ses frontières !) pour traiter les migrants qui viennent s’échouer sur ses côtes !
De quelle coopération au développement et de quelle solidarité peut-on encore prétendre parler tant que les institutions européennes défendront de fausses solutions ? Quelle « libre circulation » promeut-on quand seules les marchandises sont concernées et les hommes sont parqués dans des camps ?
Ces échecs sont pourtant réversibles !
En vertu de son histoire, en application des principes sur lesquels elle a fondé sa construction, en respect de ses engagements internationaux, l’UE se doit non seulement d’accueillir les réfugiés que ses politiques économiques ont contribué à produire, mais aussi de mettre en œuvre toutes les mesures utiles pour sécuriser leur voyage vers nos frontières. En amont, pour réduire le flux, la solution préconisée par les Organisations paysannes est désormais clairement définie : un soutien sans équivoque à l’agriculture familiale, afin de répondre aux défis économiques, environnementaux et sanitaires du XXIè s. et de garantir la souveraineté alimentaire des peuples qui veulent en finir avec la concurrence déloyale des pays industrialisés. Et pour cela, abandonner les négociations commerciales en faveur du libre-échange (APE et autres) qui rend les plus pauvres toujours plus dépendants des plus riches.

Marine Lefebvre

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