agriculture industrielle


Pourquoi les légumineuses, aliments aux multiples vertus nutritives, ne nécessitant pas d’intrants chimiques, et jouant un rôle de fertilisants naturels des sols, ont-elles disparu de nos menus, alors que nous en consommions 7kg par an et par habitant en France avant la guerre?

Le système agro-alimentaire qui s’est développé depuis le milieu du XX.s. est une fois de plus à pointer du doigt : il a orienté les consommateurs vers un nouveau régime alimentaire constitué d’aliments transformés, très rentables pour les industriels, très couteux en termes de production de gaz à effet de serre, et très dégradés quant aux qualités nutritives.
En éliminant les protéines végétales au profit des protéines animales, signe de richesse et d’intégration à la société de consommation, les Européens mangent finalement indirectement plus de 60kg de soja par an et par habitant: la viande et des produits laitiers dont ils raffolent sont produits à partir d’animaux nourris à base de soja  provenant pour les trois quart au minimum d’outre-Atlantique, causant des dégâts environnementaux majeurs liés à la déforestation et à l’emploi de produits chimiques sur les cultures de soja, majoritairement OGM. A travers leur consommation de viande produite à bas coût, les consommateurs ignorent qu’ils sont devenus les complices d’un  écocide dans les pays en développement : c’est ce qu’a mis en lumière le Tribunal Monsanto au printemps 2017, au terme d’une et de témoignages qui ont prouvé des taux de décès élevés chez les populations rurales exposées notamment aux épandages de pesticides sur les cultures OGM.

Le système agro-alimentaire, fardeau pour la planète et pour les populations les plus vulnérables

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Déjà 10 000 ans que les paysans et paysannes du monde entier sélectionnent les meilleures graines de leurs récoltes pour les ressemer, les échanger ou les vendre à leurs voisins. Ce faisant, ils favorisent ainsi les plantes qui répondent le mieux aux besoins de populations qui les consomment, comme aux évolutions climatiques, et contribuent ainsi à une amélioration continue et à une diversification de la biodiversité cultivée. Mais ces fonctions essentielles et millénaires sont menacées par la mise en place de législations qui, depuis le milieu du XXè.s., ont soutenu le développement d’une agriculture où l’industrie a joué un rôle croissant dans la sélection et la production des semences, et où les nouvelles normes (règles commerciales, droits de propriété intellectuelle) dépossèdent les paysans de leur droit aux semences et les rendent dépendants d‘une poignée de multinationales.

 

Là n’est pas l’unique cause, mais il faut rappeler que 80 % des personnes souffrant de la faim vivent en zone rurale et 50 % d’entre elles ne parviennent plus à vivre de leur petite exploitation agricole : sans accès aux semences, sans possibilité de les reproduire, les échanger, les vendre, comme cela s’est toujours pratiqué, c’est bien le droit à l’alimentation des paysans et de leurs familles qui est remis en cause…

Au nom de « l’amélioration génétique », les politiques agricoles de nombreux pays riches ont contribué à mettre en place des législations empêchant les paysans d’utiliser leurs propres semences. Une autre évolution est venue entraver le droit des paysans aux semences : « les droits de propriété intellectuelle se sont considérablement renforcés ces dernières années partout dans le monde, à la demande des pays développés et au profit de leurs industriels », a dénoncé Olivier De Schutter, l’ancien rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation.

Sécuriser les paysans face aux discriminations

Pour toutes ces raisons, il importe de reconnaitre et de sécuriser le droit des paysans aux semences en lui conférant la valeur d’un droit humain. Ce droit, d’abord coutumier, commence à être reconnu formellement. « Mais les règles actuelles sont infiniment moins protectrices pour les paysans que les législations relatives aux droits de propriété intellectuelle ou à la commercialisation des semences, généralement favorables aux puissantes multinationales semencières », regrette les experts réunis par Coordination Sud pour réaliser l’étude intitulée Le droit aux semences, un droit essentiel pour les paysans.

En complément des droits universels de tout être humain, il est nécessaire de reconnaître des droits spécifiques pour permettre aux paysans de combattre les discriminations dont ils sont la cible. C’est à cette fin que des négociations se poursuivent devant le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU qui devraient déboucher sur une Déclaration des Nations unies.

À la différence d’une convention ou d’un pacte, une Déclaration n’est pas contraignante. Mais une Déclaration peut être reprise dans des textes internationaux obligatoires, ainsi qu’au niveau des États et des unions d’États, dans les constitutions et les législations. Les droits deviennent alors contraignants et leurs violations passibles de sanctions.

Cette perspective donne beaucoup d’espoir aux mouvements paysans du monde entier et notamment au premier d’entre eux, la Via Campesina, mais aussi à toutes les organisations de solidarité, dont SOS Faim : parvenir à protéger les pratiques paysannes garantes de résilience et de biodiversité et à rétablir un rapport de force moins déséquilibré avec les multinationales qui dominent le marché des semences protégées.

Pour la société civile, dont les mouvements paysans, il faut à présent veiller à ce que cet article soit maintenu dans la Déclaration et ne soit pas vidé de son contenu.

Marine Lefebvre

La fin des quotas laitiers européens en 2015 a entrainé une chute vertigineuse des prix … et une hausse massive des exportations. Les producteurs européens ne gagnent plus leur vie… et les petits producteurs laitiers africains sont laminés par l’afflux de lait en poudre à bas coût.

 

En chute vertigineuse depuis deux ans, le prix du lait payé aux éleveurs européens ne couvre plus les coûts de production et le nombre d’exploitations en situation de cessation d’activité ne cesse de croitre. Dans le même temps, les chiffres du commerce extérieur européen des produits laitiers affichent une dynamique insolente avec un excédent commercial de 8,7 milliards € en 2015 et des produits laitiers français qui s’enorgueillissent d’être « des champions de l’export : sur 10 litres de lait collectés, 4 sont exportés ! »

Quel est ce système agro-alimentaire où l’excédent commercial laisse penser qu’un secteur se porte bien ?

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Présenté début mars devant le Conseil des Droits de l’Homme, un rapport d’experts de l’ONU met en lumière les mensonges de l’agro-industrie et les conséquences « catastrophiques » qu’elle fait peser sur la santé des hommes et de la planète, sur l’avenir en somme…

 

Le rapport cite et accuse  les multinationales (Syngenta, Monsanto, Bayer…)  de « déni systématique des effets négatifs », et d’appliquer un lobbying intensif qui « entrave les réformes et paralyse les restrictions mondiales en matière de pesticides. »

Pour les auteurs du rapport, Hilal Elver, rapporteuse spéciale pour le droit à l’alimentation, et Baskut Tuncak, rapporteur spécial sur les substances toxiques, «l’utilisation de plus en plus de pesticides n’a rien à voir avec la réduction de la faim [dans le monde]. Selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), nous pourrions nourrir 9 milliards de personnes aujourd’hui. La production augmente, mais le problème demeure la pauvreté, les inégalités et la distribution».

Au Bénin, Pascal Gbenou n’a pas attendu ces experts pour livrer bataille en montrant, à travers les pratiques de la ferme SAIN, un autre exemple, celui de l’agroécologie : « Il faut faire prendre conscience que les méthodes traditionnelles sont pleines de vertus et qu’il faut abandonner le mirage des produits de synthèses des blancs. » Sa démarche a précédé de beaucoup l’accumulation des preuves des effets néfastes des produits vantés par l’industrie, mais il s’inquiète aujourd’hui de voir progresser dans son pays l’utilisation d’herbicides qui tuent le bétail, les nappes phréatiques et affectent la santé des paysans.

Aux observations depuis le terrain répondent les chiffres établis par les experts de l’ONU qui évaluent à 200 000 le nombre de décès provoqués par les pesticides chaque année, tandis que plus  de  75% des  terres  arables  africaines sont concernées par la dégradation  (contre « seulement » 33%  des  terres  mondiales).

Le prédécesseur de H. Elver au poste de rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation, le belge Olivier de Schutter, poursuit son engagement en lançant un  Groupe   international   d’experts   sur   les   systèmes alimentaires  durables  (IPES Food) en vue de  soutenir «  un  processus  de  réflexion  sur  l’avenir du  développement  agricole  en  Afrique  de  l’Ouest  où « les  enjeux  sont  particulièrement  importants avec une agriculture qui emploie 65% de la population » et où 36  millions  de personnes souffrent de la faim, dont 50% sont de petits exploitants  agricoles.

 

Les experts, nouveau contre-pouvoir

« Alors  que  l’agriculture  industrielle et les approches  de   la   « Révolution   verte»   promettent   des augmentations de productivité à court terme, elles n’ont pas encore apporté de réponses convaincantes à la capacité des pays à se nourrir par eux même. Plus particulièrement, ces approches ne parviennent pas à répondre aux enjeux  liés  à  la  dépendance  des  Etats  aux importations  de  denrées alimentaires et d’intrants agricoles, à leur adaptation au changement climatique, au maintien de leur base de ressources naturelles et à la provision d’une alimentation saine et équilibrée pour l’ensemble de la population. » De fait, avec la mondialisation des échanges, le continent africain est passé du statut d’exportateur net de denrées alimentaires en 1970, à celui d’importateur net, et accuse un déficit commercial  agricole  devenu structurel !

Grâce aux « nouveaux éléments  qui  suggèrent que les systèmes agroécologiques diversifiés ont  le potentiel d’offrir une stratégie pour sortir du modèle de l’agriculture industrielle tout en soutenant  des  systèmes  alimentaires  productifs  et  durables »,  les experts s’érigent en contre-pouvoir des multinationales : « Interdire et réglementer ne suffit plus: le moyen le plus efficace à long terme de réduire l’exposition à ces produits chimiques toxiques «est de renoncer progressivement à l’agriculture industrielle», conclut le rapport d’experts de l’ONU.

Marine Lefebvre