Présenté début mars devant le Conseil des Droits de l’Homme, un rapport d’experts de l’ONU met en lumière les mensonges de l’agro-industrie et les conséquences « catastrophiques » qu’elle fait peser sur la santé des hommes et de la planète, sur l’avenir en somme…

 

Le rapport cite et accuse  les multinationales (Syngenta, Monsanto, Bayer…)  de « déni systématique des effets négatifs », et d’appliquer un lobbying intensif qui « entrave les réformes et paralyse les restrictions mondiales en matière de pesticides. »

Pour les auteurs du rapport, Hilal Elver, rapporteuse spéciale pour le droit à l’alimentation, et Baskut Tuncak, rapporteur spécial sur les substances toxiques, «l’utilisation de plus en plus de pesticides n’a rien à voir avec la réduction de la faim [dans le monde]. Selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), nous pourrions nourrir 9 milliards de personnes aujourd’hui. La production augmente, mais le problème demeure la pauvreté, les inégalités et la distribution».

Au Bénin, Pascal Gbenou n’a pas attendu ces experts pour livrer bataille en montrant, à travers les pratiques de la ferme SAIN, un autre exemple, celui de l’agroécologie : « Il faut faire prendre conscience que les méthodes traditionnelles sont pleines de vertus et qu’il faut abandonner le mirage des produits de synthèses des blancs. » Sa démarche a précédé de beaucoup l’accumulation des preuves des effets néfastes des produits vantés par l’industrie, mais il s’inquiète aujourd’hui de voir progresser dans son pays l’utilisation d’herbicides qui tuent le bétail, les nappes phréatiques et affectent la santé des paysans.

Aux observations depuis le terrain répondent les chiffres établis par les experts de l’ONU qui évaluent à 200 000 le nombre de décès provoqués par les pesticides chaque année, tandis que plus  de  75% des  terres  arables  africaines sont concernées par la dégradation  (contre « seulement » 33%  des  terres  mondiales).

Le prédécesseur de H. Elver au poste de rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation, le belge Olivier de Schutter, poursuit son engagement en lançant un  Groupe   international   d’experts   sur   les   systèmes alimentaires  durables  (IPES Food) en vue de  soutenir «  un  processus  de  réflexion  sur  l’avenir du  développement  agricole  en  Afrique  de  l’Ouest  où « les  enjeux  sont  particulièrement  importants avec une agriculture qui emploie 65% de la population » et où 36  millions  de personnes souffrent de la faim, dont 50% sont de petits exploitants  agricoles.

 

Les experts, nouveau contre-pouvoir

« Alors  que  l’agriculture  industrielle et les approches  de   la   « Révolution   verte»   promettent   des augmentations de productivité à court terme, elles n’ont pas encore apporté de réponses convaincantes à la capacité des pays à se nourrir par eux même. Plus particulièrement, ces approches ne parviennent pas à répondre aux enjeux  liés  à  la  dépendance  des  Etats  aux importations  de  denrées alimentaires et d’intrants agricoles, à leur adaptation au changement climatique, au maintien de leur base de ressources naturelles et à la provision d’une alimentation saine et équilibrée pour l’ensemble de la population. » De fait, avec la mondialisation des échanges, le continent africain est passé du statut d’exportateur net de denrées alimentaires en 1970, à celui d’importateur net, et accuse un déficit commercial  agricole  devenu structurel !

Grâce aux « nouveaux éléments  qui  suggèrent que les systèmes agroécologiques diversifiés ont  le potentiel d’offrir une stratégie pour sortir du modèle de l’agriculture industrielle tout en soutenant  des  systèmes  alimentaires  productifs  et  durables »,  les experts s’érigent en contre-pouvoir des multinationales : « Interdire et réglementer ne suffit plus: le moyen le plus efficace à long terme de réduire l’exposition à ces produits chimiques toxiques «est de renoncer progressivement à l’agriculture industrielle», conclut le rapport d’experts de l’ONU.

Marine Lefebvre