Corne de l’Afrique


 

 

Avec une croissance officielle à deux chiffres au cours des dix dernières années, et la plus forte hausse des nouveaux millionnaires, l’Ethiopie était devenue le modèle de développement pour le continent africain. Pourtant, de nombreux signaux sont au rouge… qui se traduisent notamment par l’inquiétude des partenaires de SOS Faim sur le terrain.

 

Au vue des indicateurs macroéconomiques, le tigre éthiopien a certes de quoi s’enorgueillir, mais force est de constater que la croissance n’élimine pas la pauvreté. Et si le spectre de la famine qui a hanté le pays dans les années 80 semblait désormais bien loin, de nouvelles alertes viennent souligner la fragilité du succès éthiopien et rappeler que le pays reste tributaire d’une agriculture de subsistance.  Au printemps 2016, la FAO signalait : « les taux d’insécurité alimentaire et de malnutrition sont alarmants dans ce pays de la Corne de l’Afrique qui compte quelque 10,2 millions de personnes souffrant d’insécurité alimentaire. Un quart de tous les districts en Ethiopie sont officiellement classés en «crise de sécurité alimentaire et nutritionnelle», ajoutant que « Il est important de comprendre que la sécheresse en cours n’est pas juste une crise alimentaire — c’est avant tout une crise de moyens d’existence».

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Dans le même temps, le nombre de millionnaires (en dollars) dans le pays a augmenté de 108 % entre 2007 et 2013 pour atteindre 2 700 personnes, soit une hausse plus rapide que dans tout autre pays du continent !

Difficile de se réjouir du nombre de millionnaires quand plus de 30% de la population continue de vivre sous le seuil international de pauvreté. Et que dire d’un développement où, avec une population rurale a plus de 80%, les campagnes sont les grandes oubliées du développement ?

Le fait est que les populations laissées pour compte sont lasses de voir le miracle économique se dérouler non seulement sans elles, mais parfois même à leur détriment, en témoigne l’accaparement de terres orchestré par des dirigeants avides d’attirer des investisseurs étrangers.

Depuis 2015, plusieurs révoltes  des populations oromo et amhara, laissées-pour-compte de la croissance, ont été réprimées dans le sang, instaurant une atmosphère très pesante, comme l’ont constaté les chargés de mission de SOS Faim : « Les partenaires rencontrés nous ont fait part de leur sentiment d’inquiétude par rapport à la situation. La majeure partie de la région Oromo est aujourd’hui sous administration militaire. En outre, cette situation a un impact sur la totalité des activités en secteur rural et sur les actions de recouvrement menées par les institutions et microfinance en particulier. Notons enfin que les tensions politiques sont aussi dues au fait que les Oromos sont de plus en plus réticents à payer leurs taxes foncières, et ce en signe de protestation.» En écho de ce témoignage, celui, adressé récemment par mail d’un cadre éthiopien dont nous taisons le nom par mesure de sécurité : « Nous rencontrons de sérieuses difficultés ces temps-ci qui se répercutent sur les remboursements. Dans les deux tiers de nos agences, les gens sont restés chez eux durant toute la semaine car il était impossible de sortir et de circuler. Plusieurs agences ont même été incendiées. On ne peut encore savoir dans quelle mesure cette situation va affecter les activités des paysans alors que la saison des récoltes approche et que leurs revenus de toute une année dépendent de cette récolte et de sa vente… »

Peut-on se contenter de voir dans ses évènements l’un des revers de la médaille de la croissance ?

Selon le chercheur Jean-Nicolas Bach, l’Etat « dévelopementaliste » éthiopien correspond à  « un Etat très dirigiste qui contrôle son économie (…). Les limites politiques du projet dirigiste sont là : quand on contrôle tout, on ne crée pas la confiance indispensable pour attirer les financements extérieurs, ni pour que les Ethiopiens investissent. Ces troubles ont jeté une lumière crue sur une situation économique et politique moins glorieuse que celle affichée depuis dix ans. L’Ethiopie était jusqu’à récemment le pays le plus stable de la corne de l’Afrique. La communauté internationale fermait les yeux sur son autoritarisme pour favoriser cette stabilité. Mais privilégier l’autoritarisme à l’ouverture politique est une vision de court terme qui finit par créer une situation interne explosive. »

 

Marine Lefebvre

La société civile burkinabé a reçu le prix ouest-africain 2015 du défenseur des droits de l’homme

Le 29 novembre, les Burkinabés étaient appelés aux urnes pour la première élection présidentielle depuis la chute du régime de Blaise Compaoré, à la tête du Burkina Faso depuis 1987. Ces élections devaient tourner la page de la transition politique mise en place après l’insurrection populaire de fin 2014 qui a contraint Compaoré à démissionner alors qu’il tentait de modifier la Constitution pour avoir accès à un nouveau mandat.

La jeunesse et les étudiants ont été les acteurs majeurs de ce soulèvement populaire. Prévues en octobre 2015, les élections ont dû être reportées après une tentative de coup d’Etat amorcée par des fidèles de Compaoré. Un nouveau soulèvement populaire déjoua ce coup d’Etat et permit au gouvernement de transition de revenir au pouvoir jusqu’aux élections présidentielles et législatives. Ces élections se sont déroulées dans le calme, la paix et le respect mutuel. Grâce à son combat pour la sauvegarde des acquis démocratiques, la société civile est la grande gagnante de ces élections. Cette victoire lui a valu  le prix 2015 décerné par le réseau ouest africain de défenseurs des droits de l’homme.

De passage au Luxembourg, nous avons pu nous entretenir avec Germain Ouédraogo, directeur de l’association burkinabé Arcan, sur le rôle joué par les associations locales face aux remous sociopolitiques récents. Selon lui, « cette mobilisation populaire découle d’une prise de conscience du peuple de son rôle à jouer dans le processus démocratique ».

Les citoyens veulent jouer un rôle actif dans le débat public

Au Burkina Faso comme dans de trop nombreux pays, la norme politique est de privilégier l’intérêt de certains individus au détriment de l’intérêt du peuple. Aujourd’hui, les citoyens veulent jouer un rôle actif dans le débat public et attendent du futur gouvernement  qu’il serve les intérêts du peuple. Germain Ouédraogo nous confiait que « le rôle joué par les acteurs locaux de développement a beaucoup contribué à la prise de conscience du peuple face aux problèmes du pays et au besoin de participer activement au développement du pays ». La culture joue un rôle central dans la société burkinabé. De nombreux artistes, tels que la troupe Arcan, utilisent la culture comme moyen d’enclencher un changement sociétal au service du développement du pays. Arcan a pour vocation d’utiliser les arts du spectacle et plus particulièrement le théâtre, la danse et la musique à des fins sociales. L’usage de la culture comme moyen de sensibilisation au service du développement est une pratique courante au Burkina Faso. La principale méthode de sensibilisation utilisée par la troupe est le théâtre-forum. Elle perçoit le théâtre comme un miroir de la société. Cette perception permet ainsi d’avoir un œil critique sur la société et ainsi d’en détecter les forces et les faiblesses. « Les arts du spectacle sont vivants et créent l’opportunité du débat, c’est grâce à ces méthodes que nous avons pu au Burkina éveiller la conscience du peuple » nous confiait Germain Ouédraogo.

Au Burkina Faso, l’heure est désormais à la reconstruction. Les élections présidentielles et législatives ne furent que la première étape du processus de démocratisation enclenché en 2014. L’enjeu est de taille pour le nouveau président, car tout est à refaire. La société civile maintiendra son droit de regard sur le monde politique pour éviter que les erreurs du passés ne ressurgissent. Le rôle joué par les acteurs locaux de développement et par la société civile burkinabé dans le processus de transition peut être un exemple pour d’autres pays africains. Bien davantage que de réaliser de beaux projets de développement, les acteurs de la société civile des pays du Nord, comme SOS Faim, doivent aussi intensifier leurs appuis en faveur des acteurs de changement social et démocratique des pays du Sud. Car leur développement ne se fera pas sans eux !

Cécile Havard

http://www.sosfaim.org

 

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La troupe Arcan du Burkina Faso lors de son séjour au Luxembourg du 16 au 23 novembre 2015

 

 

 

 

Cette fois, des responsables politiques reconnaissent leur échec et adoptent le  diagnostic des ONG, dont SOS Faim, selon lequel les conditions climatiques extrêmement difficiles ne sont pas seules en cause dans la famine qui  touche plus de 12 millions de personnes dans la Corne de l’Afrique.

 « C’est insupportable et c’est la preuve d’un échec de la communauté internationale depuis plusieurs années dans l’approche que nous avons eue de la faim dans la monde« , a déclaré Bruno Le Maire, le ministre français de l’Agriculture mardi 26 juillet, suite à la réunion qui s’est tenue lundi à Rome au siège de l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) avec des ministres, des ONG et des banques de développement, avant d’ajouter : « il faut investir dans l’agriculture des pays en développement. »

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