Aide Publique au Développement


Le 9 février 2018 à Niamey, des milliers de manifestants ont commémoré la mémoire des trois jeunes martyrs tués 28 ans plus tôt par les forces de l’ordre qui avaient ouvert le feu sur une manifestation pacifique dans la capitale nigérienne.
Cette commémoration est intervenue dans un moment de grande tension au Niger où de premières manifestations ont été organisées fin janvier dans le but de dénoncer la loi de finances 2018 et l’installation des bases militaires étrangères.

Un collectif nommé CADRE DE CONCERTATION ET D’ACTIONS CITOYENNES DE LA SOCIETE CIVILE NIGERIENNE INDEPENDANTE s’est formé. Dans ses publications, il a rappelé que la tragédie survenue en 1990 a d’autant plus marqué les esprits qu’elle a été le point de départ du processus de démocratisation du pays qui marque également le début de la coopération avec le Luxembourg, notamment.

Or, près de 30 ans après, c’est l’amertume qui l’a emporté, face à un régime qui inspire la défiance à ses concitoyens : « le Président Issoufou Mahamadou a réussi l’extraordinaire exploit de transformer le Niger en une véritable république bananière où prospèrent les intérêts étrangers. D’abord, ceux des grandes puissances occidentales, notamment la France et les États Unis, qui se sont vues octroyer gracieusement, sans aucune consultation du parlement, le droit d’y installer des bases militaires où sont déployés des centaines de soldats équipés d’armements ultra sophistiqués. Ensuite, ceux des grandes compagnies multinationales qui, comme les sociétés de téléphonie, bénéficient d’avantages fiscaux faramineux, et qui, comme AREVA et la CNPC, exploitent les ressources du sous-sol dans les conditions qu’elles ont choisies », écrit Moussa Tchangari, Secrétaire Général d’Alternative Espaces Citoyens (AEC).

La goutte qui a fait déborder le vase, c’est la loi de finances 2018, aussi appelée « loi scélérate » : « En dépit de ces signaux évidents, il est frappant de constater que le Président Isssoufou et ses principaux soutiens internes et externes (…) pensent pouvoir continuer à mettre le pays sous coupe réglée à travers la mise en œuvre d’une politique antisociale, dont la loi de finances 2018 n’est qu’une étape. (…) Le vote de cette loi de finances constitue la preuve éloquente que les autorités nigériennes, mais aussi leurs amis extérieurs, sont encore loin de prendre la mesure de la colère qui gronde au sein du peuple », poursuit Moussa Tchangari tandis que le collectif dénonce :

« qu’au moment où le gouvernement accorde des cadeaux fiscaux et des exonérations fantaisistes à des multinationales bien nanties, on institue des impôts et taxes sur des produits (biens et services) de première nécessité et que les recettes collectées servent à financer des dépenses de prestige et des emplois fictifs au détriment des services sociaux de base comme la Santé et l’Education. A l’heure où nous parlons, des contractuels de la santé et de l’éducation peinent à jouir de leurs pécules régulièrement. Ceux de la santé enregistrent aujourd’hui, six mois d’impayés pour des pécules de misère d’à peine 55000F par mois dans ce contexte de renchérissement tout azimut du coût de la vie. »

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La recherche de la cohérence des politiques pour le développement, inscrite dans le Traité de Lisbonne et faisant partie des ambitions gouvernementales luxembourgeoises, peine à trouver son chemin.
Tandis que « Le secteur financier grand-ducal gagne du poids dans l’Union européenne », il en va de notre responsabilité de citoyens d’un pays démocratique de nous interroger sur ce que cache ce succès. C’est tout l’enjeu de la publication Fair Politics qui vient de paraitre et qui met en lumière les politiques de notre gouvernement avec leurs conséquences, sans doute indirectes mais bien réelles, sur les pays en développement.

Car à quoi bon consacrer 1% de notre RNB à l’aide publique au développement si la lutte contre la pauvreté que cet argent permet de réaliser se trouve en partie contrecarrée par des politiques qui n’ont d’autres préoccupations que de drainer les richesses vers le Luxembourg, avec pour conséquence de creuser les inégalités dans le monde ?
Le succès financier du Luxembourg mérite d’être confronté à quelques indicateurs. Par exemple, l’étude de Landmatrix qui place le Grand duché en tête des pays européens complices de l’accaparement des terres, avec plus de 800 000 hectares confisqués par des sociétés et des fonds domiciliées sur son territoire. Dans cette liste, la SOCFIN apparaît à de nombreuses reprises dans neuf pays différents, essentiellement en Afrique.

… Avec la multiplication des plaintes et des enquêtes, la publicité donnée aux agissements de la SOCFIN et l’organisation d’une coalition mise sur pied en 2013 à travers l’ « Alliance internationale des riverains des plantations SOCFIN/Bolloré », on pourrait croire que l’étau se resserre autour du groupe. Pourtant, aucune mesure n’a encore réussi à infléchir les « mauvaises habitudes » de ce groupe agro-industriel multinational spécialisé dans la culture de palmiers à huile et d’hévéa (caoutchouc), contrôlé par l’homme d’affaire belge Hubert Fabri (54,2% des parts) et par le français Vincent Bolloré (39% des parts). Afin de gérer des plantations dans une dizaine de pays africains et asiatiques, le groupe dispose de sociétés financières et opérationnelles au Luxembourg, en Belgique et en Suisse. L’appétit de SOCFIN semble insatiable qui poursuit l’expansion de ses plantations dans plusieurs pays d’Afrique et d’Asie. Au total, SOCFIN contrôle plus de 400.000 ha de terres (soit plus de 154% du territoire du Luxembourg ) et ses plantations sont passées de 129.658 ha à 186.767ha ha entre 2009 et 2016, soit une augmentation de plus de 40 %.

Les droits des communautés piétinés
Le contrôle de si vastes superficies s’effectue au détriment des petits paysans, s’accompagnant de violations des droits des communautés locales, et de leurs cohortes de conflits fonciers, déforestation, pollutions, conditions de travail déplorables, etc. Ces impacts ont été largement documentés dans de nombreux rapports d’ONG et de journalistes.
Face à la mobilisation ancrée dans les sociétés civiles des pays riverains, les Etats semblent impuissants. En élaborant des Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales, l’OCDE a pourtant instauré d’importants jalons en vue de mettre fin à l’impunité ; ils constituent même le plus complet des instruments qui existent aujourd’hui concernant la responsabilité des entreprises. Ces Principes directeurs sont des recommandations que les gouvernements adressent aux entreprises multinationales afin de favoriser « une conduite raisonnable » des entreprises dans les domaines des relations professionnelles, des droits de l’homme, de l’environnement, de la fiscalité, de la publication d’informations, de la lutte contre la corruption, des intérêts des consommateurs, de la science et de la technologie, et de la concurrence… Les 43 gouvernements adhérents – représentant toutes les régions du monde et 85 pourcent de l’investissement direct étranger – se sont engagés à encourager les entreprises opérant sur leur territoire à respecter, partout où elles exercent leurs activités, un ensemble de principes et de normes largement reconnus qui visent à assurer de leur part un comportement responsable. »
Au lieu d’encouragements, peut-être faudrait-il oser les blâmes ?
Marine Lefebvre

Par Jean Feyder, ancien Ambassadeur

Que peut attendre l’Afrique du Sommet du G20 à Hambourg ? En mars dernier Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, avait sonné l’alerte: plus de 20 millions de personnes risquent de mourir de faim au Nigeria, au Soudan du Sud, en Somalie et au Yémen. S’y ajoute qu’en Afrique subsaharienne, l’insécurité alimentaire affecte toujours quelques 250 millions de personnes.
Face à cette situation, les pays occidentaux visent de plus en plus à promouvoir les investissements privés. Déjà en 2012, lors d’un Sommet du G8, le Président Obama avait lancé la « Nouvelle Alliance pour la Sécurité alimentaire et l’Alimentation ». En Allemagne a été mis en route le « German Food Partnership ». Ces initiatives ne font que renforcer les politiques néolibérales qui ravagent ce continent depuis des décennies. Et tendent à ouvrir encore davantage les portes des marchés africains aux multinationales.
A l’occasion de la Conférence du G20-Africa Partnership, les 12 et 13 juin 2017 à Berlin, plusieurs ONG françaises – Action contre la Faim, le CCFD-Terre Solidaire et Oxfam France – ont publié un rapport intitulé « Agriculture africaine : l’impasse des pôles de croissance agricoles » qui illustre les dynamiques d’investissement agricole en cours en Afrique. Présentés comme des solutions miracles pour lutter contre la faim, ces partenariats entre pouvoirs publics et entreprises ne semblent en réalité qu’aggraver l’insécurité alimentaire et nutritionnelle des populations.


Selon ce rapport, ces « pôles de croissance » se font au détriment des agriculteurs familiaux locaux. De larges zones agricoles sont exploitées par des entreprises privées qui bénéficient de réductions fiscales ou d’exonérations douanières. Une concurrence déloyale entre multinationales et petits exploitants est ainsi créée. Les ressources des Etats africains et leurs capacités à investir eux-mêmes dans l’agriculture et à nourrir leurs populations sont réduites sensiblement. Parallèlement, les agriculteurs qui exploitent les terres concernées sont bien souvent contraints de partir sans indemnisation adéquate ou de travailler pour des salaires de misère.
Ces ONG rappellent que l’agriculture paysanne familiale en Afrique subsaharienne représente 70% de l’emploi, 40% des exportations de marchandises, 33% du PIB et qu’elle nourrit 80% de la population. La multiplication de ces pôles met en danger l’autonomie alimentaire des populations locales.
A l’instar des organisations paysannes africaines, elles demandent l’arrêt de tout appui au développement de ces « pôles de croissance » agricoles. Elles appellent à appuyer les petits producteurs, afin de répondre véritablement aux défis de la sécurité alimentaire et nutritionnelle du continent.
Jean Feyder
Ancien Ambassadeur

Nous avons lu avec intérêt la tribune parue lundi 15 mai dans Le Monde et intitulée « En Afrique, l’innovation financière est une clé pour une révolution doublement verte » signée par Clément Chenost et Adrien Henry, directeurs d’investissement de Moringa Partnership. A SOS Faim, ONG d’aide au développement intervenant sur les questions agricoles, plusieurs expressions et certains concepts ont retenu notre attention, notamment ces deux phrases :  « les fondations, les gouvernements et les bailleurs, en plus d’apporter une aide sous forme de dons, de prêts préférentiels ou de garanties, pourraient créer des incubateurs pour aider les premiers pas des start-up du secteur. Ces incubateurs pourraient devenir des pépinières reliant les investisseurs aux projets qui répondent à leurs attentes en matière de rendement financier et d’impact environnemental« .

Oui, ces deux phrases, à l’image de toute la tribune, nous ont amenés à nous poser des questions sur la réalité que les auteurs évoquent ou plus exactement telle qu’ils la perçoivent… Nous nous sommes demandés s’ils avaient déjà entendu parler de l’agriculture qui nourrit une très large part de la population africaine : l’agriculture familiale. Ont-ils pris le temps de s’entretenir avec les hommes et les femmes qui, en Afrique de l’Ouest, du Centre, de l’Est ou encore du Maghreb, s’engagent dans des coopératives ou des syndicats ? Ont-ils déjà échangé avec des agriculteurs et des éleveurs sur la réalité de leur vie et de leurs activités ? Sur les capacités d’adaptation et d’innovation dont ils ont fait preuve depuis des décennies malgré le démantèlement de tous les dispositifs publics d’appui à l’agriculture ? Sur leur capacité à gérer une très grande complexité dans laquelle se combinent paramètres sociaux, culturels, politiques et économiques ? Sur leurs contraintes : dans leur accès à des services publics de qualité pour leurs familles ou à des infrastructures en bon état dont l’absence pénalise gravement leurs activités économiques ? Sur leur difficile accès à des services financiers de proximité adaptés, le plus souvent inexistants ? Sur leurs batailles pour des politiques publiques consistantes qui répondent à leurs besoins et leur permettent de mieux produire, mieux vendre et donc vivre décemment ? Sur leur combat pour lutter contre des politiques commerciales internationales qui font la part belle à la concurrence déloyale et à une honteuse spéculation qui enrichit une poignée et en affament des millions ? Sur les défis qui se posent à eux en matière de structuration et de formation (conseil agricole), notamment à la base, dans les villages ; mais aussi en termes d’insertion économique des jeunes et de création d’emplois non agricoles en milieu rural ? MM. Chesnot et Henry ont-ils déjà entendu parler de la souveraineté alimentaire et du droit à l’alimentation ?

Nous nous demandons finalement quelle est la finalité de cette tribune truffée de mots à la mode et empreinte d’une approche exclusivement technique et financière qui fleure bon la culture des cabinets de conseil : s’agit-il de trouver des réponses à la complexité des défis qui se posent aujourd’hui aux agricultures africaines et à celles et ceux qui la font vivre ? Ou plutôt de séduire des investisseurs à l’affût de nouvelles niches de profit estampillées « développement durable » ? MM. Chesnot et Henry sont-ils réellement convaincus que la force transformatrice des agricultures africaines viendra des investisseurs privés étrangers, des start-up et autres incubateurs pépiniarisés ? Si oui, font-ils le pari que les populations rurales et les paysans en particulier en sortiront gagnants ?

Puissent les agriculteurs africains et les organisations qui les représentent se montrer très vigilants vis à vis de ce genre d’initiatives car si, par chance, elles ne desservent pas avec brutalité leurs intérêts de citoyens et d’acteurs économiques, nous doutons fort qu’elles contribuent à améliorer leurs conditions de vie et leurs droits.

Pour notre part, nous pensons que l’avenir des agricultures et des systèmes alimentaires en Afrique doit avant tout être construit par les Africains eux-mêmes, avec des politiques publiques volontaristes et ambitieuses qui promeuvent la souveraineté alimentaire et le droit à l’alimentation, tout en protégeant les paysans des processus de prédation divers ; avec des organisations de producteurs agricoles fortes qui reçoivent le soutien nécessaire pour développer une gamme de services adaptés aux besoins de leurs membres et participent à la mise en œuvre des politiques qui les concernent; avec des financements privés adaptés qui soutiennent autant les activités de production que les réseaux de petites et moyennes entreprises agro-alimentaires ; avec des dispositifs de formation de qualité et pérennes qui aident les jeunes à s’installer ; avec enfin des politiques commerciales équitables et des politiques d’aide au développement, de long terme, qui promeuvent la durabilité sociale et environnementale, la redevabilité et la responsabilisation des acteurs qu’elles sont censées soutenir.

Pour nous, si révolution il doit y avoir c’est celle du système de l’aide : un système de l’aide rénové qui replace les enjeux politiques au centre des processus de développement et fait la part belle aux approches systémiques. Une révolution qui considère avant tout les paysans comme des citoyens acteurs de changement et non comme des bénéficiaires de projets ou d’investissements.

Nedjma Bennegouch, responsable des partenariats à SOS Faim

Alors que le gouvernement luxembourgeois et la BEI se félicitent des 11,7millions d’euros qui ont été mobilisés pour les projets de microfinance au cours de dix dernières années, les observateurs du secteur expriment des craintes face au processus de concentration en cours qui, de manière paradoxale, rend les services destinés aux plus pauvres de plus en plus inaccessibles aux plus déshérités.

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Aucun doute que la microfinance, renommée finance inclusive au cours des dernières années, soit devenue une industrie florissante avec une croissance à deux chiffres du portefeuille de crédits (+12,6%) et 111,7 millions de clients à travers le monde. C’est aussi, selon le ministère des Finances du Luxembourg, une bonne diversification de la place financière. Cependant, à certains égards, sa mission initiale semble se perdre : créée par des ONG pour servir les exclus du système, elle est entrée dans une logique de créations d’institutions de plus en plus grosses et de plus en plus rentables, suivant des schémas qui rappellent le secteur bancaire classique… D’après le baromètre de la microfinance édité par Convergences, les 100 IMF les plus importantes dans le monde dominent le marché avec 76,9% de l’encours global de crédits et près de 70% du nombre d’emprunteurs. Si l’évolution vers ce modèle commercial a eu un effet positif en améliorant l’accès au financement, ce mouvement est essentiellement vérifié au niveau des zones urbaines et semi rurales, ayant la plus forte densité de peuplement. Mais, dans les zones rurales isolées, les situations de conflits ou post-conflits, l’approche commerciale ne peut suffire à répondre aux besoins. SOS Faim en est bien conscient qui s’efforce de soutenir les acteurs essentiellement implantés dans le secteur rural comme en Ethiopie ou au Burkina Faso, ou ceux qui persistent à offrir des services financiers malgré un contexte politique très hostile, comme le PAIDEK ou TGD au Kivu (RDC). L’autre préoccupation des ONG concernent les taux d’intérêts élevés. Certes justifiés par les coûts opérationnels de la distribution de crédits de faibles montants, et par la prise de risques, les taux d’intérêts deviennent un problème crucial dans le financement des activités agricoles qui sont peu rémunératrices, sources de risques élevés en raison des aléas climatiques et qui nécessitent pourtant des investissements. Comme le dénonçait récemment Pascal Gbenou originaire du Bénin, « le taux d’intérêt des crédits chez nous n’est pas acceptable, à plus de 20%. Or, on a besoin de facilités pour avancer ; si j’avais un taux à 5%, je ferais des miracles ! ».

(suite…)

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