Du 15 au 17 décembre dernier s’est tenue à Nairobi la 10e conférence ministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en présence des Ministres Jean Asselborn et Romain Schneider. Sans guère susciter l’intérêt de nos medias et sans le moindre contrôle parlementaire.

En amont de cette conférence, le Cercle des ONG avait adressé à Monsieur Asselborn une lettre que 453 ONG de plus de 150 pays, y compris du Luxembourg, avaient signée sous la coordination du réseau « Our World Is Not for Sale (OWINFS) ». Parmi eux des syndicats, comme la Fédération Internationale des Syndicats, (ITUC), des fermiers, des écologistes, des militants des services publics et du développement.

Dans cette lettre le Cercle a demandé que le Luxembourg s’engage, avec les autres Etats membres de l’OMC, pour que la conférence ministérielle prenne des décisions concrètes en faveur du développement, des plus démunis de la planète, en particulier des petits paysans qui représentent la moitié des personnes qui ont faim. Il importe donc que l’OMC réserve aux pays en développement et surtout aux moins avancés plus d’espace politique pour leur permettre d’investir dans la production agricole nationale afin d’atteindre la sécurité et la souveraineté alimentaires.

Serait ainsi à mettre en place un mécanisme spécial de sauvegarde qui aurait permis aux pays en développement d’augmenter temporairement les droits de douane sur les produits agricoles sensibles pour se préserver d’importations soudaines. Celles-ci proviennent normalement des pays industrialisés.

Hélas, les pays riches n’ont pu accepter cette proposition ni celle qui devait établir un accord définitif suite à celui, provisoire, conclu à Bali en 2013 qui a permis à des pays comme l’Inde de créer des réserves publiques pour la sécurité alimentaire en achetant aux petits paysans des produits à des prix qui se situent au-dessus du « prix du marché » ce que les règles de l’OMC interdisaient jusque-là.

Ces refus ont ainsi révélé le caractère fallacieux de l’agenda des objectifs de développement durable adopté par les Chefs d’Etat du monde entier en septembre dernier. Cet agenda veut éliminer la faim, d’ici 2030, en augmentant la productivité agricole et le revenu des petits exploitants en particulier pour les femmes, les communautés indigènes, les exploitations familiales, les éleveurs nomades et les pêcheurs. Les investissements dans l’agriculture seraient à renforcer. 25 000 personnes surtout des enfants continueront donc de mourir de faim chaque jour.

Suppression des subsides agricoles: quel progrès?

La ministérielle a certes trouvé un accord sur l’élimination des subventions à l’exportation des produits agricoles. La Commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, s’en est félicitée. L’impact de cette élimination est toutefois minime. Les Etats-Unis et l’Union européenne n’utilisent plus ces subventions. Mais cette décision n’affecte pas les aides internes que l’UE continue de verser massivement à ses fermiers ce qui permet aux exportateurs de vendre en dessous du prix de revient sur les marchés des pays tiers. A l’OMC, l’UE a réussi l’artifice – certains experts parlent de tricherie – consistant à faire inclure ces aides dans la “boîte verte” qui comprend des aides n’ayant pas ou que très peu d’effet de distorsion du commerce.

Deux autres questions ont divisé la conférence. Les pays industrialisés ont souhaité mettre à l’ordre du jour de l’OMC de nouveaux sujets intéressant les multinationales tels les investissements, le droit à la concurrence et les marchés publics. Cette demande a été rejetée une nouvelle fois par les pays en développement.

Enfin, s’agissant des négociations du cycle de Doha, certains Etats membres – en fait la très grande majorité – veulent les poursuivre alors que d’autres et surtout les Etats-Unis ne le veulent pas.

Bien que ce fût la première conférence ministérielle organisée en Afrique, les pays en développement n’ont pas tiré grand-chose de cette conférence. Les pays africains et surtout les moins avancés sont restés exclus des véritables négociations. Dans une déclaration séparée des ONG africaines ont dénoncé cette discrimination.

L’OMC, au service de qui ?

L’OMC a été établie en 1995 dans le cadre des accords de Marrakech concluant les négociations de l’Uruguay Round. Elle a succédé au GATT (Accord général sur les tarifs et le commerce), créé en 1947 par 23 Etats. Aujourd’hui, l’OMC regroupe plus de 160 Etats. Ces accords ont compris, pour la première fois, des chapitres sur l’agriculture, les services et la propriété intellectuelle. Sur le plan du commerce, les marchés sont libéralisés ce qui est un des principaux objectifs de l’OMC. Les pays industrialisés et notamment les Etats-Unis étaient ainsi parvenus à faire prévaloir largement leurs intérêts et à consolider leur hégémonie économique mondiale. Ce qui a conduit Noam Chomsky à affirmer que l’ OMC n’est rien d’autre qu’ »un instrument de politique étrangère des Etats-Unis ». Pierre Bourdieu a appelé l’OMC « Big Brother », ensemble avec les entreprises multinationales, le FMI et la Banque mondiale exerçant son pouvoir sur le monde, de manière non transparente.

Sous l’impulsion des pays en développement soucieux de rééquilibrer l’édifice mis en place, l’OMC a lancé en 2001 un nouveau cycle de négociations, le « Programme de Doha pour le développement ». Un traitement spécial et différencié devait même y être réservé aux pays en développement. Depuis 2011, ces négociations restent dans l’impasse. Car pour les Etats-Unis les conditions ont changé depuis le lancement en 2001 de ce cycle de négociations et les pays émergents en particulier la Chine devraient ouvrir davantage leurs marchés aux produits industriels. Ce que ces derniers rejettent. Le développement promis devra attendre.

Ce blocage des travaux de l’OMC renforcera l’élan des pays riches à poursuivre la défense de leurs intérêts à travers la conclusion d’accords commerciaux entre pays intéressés comme le TISA ou d’accords régionaux ou bilatéraux, comme le TTIP.

Rick Rowden du Centre pour les Etudes Economiques de l’Université Nehru de New Delhi écrit que le but principal de l’OMC d’une « libéralisation progressive » a été une erreur intrinsèque pour les pays en développement dès le début étant donné que les pays industrialisés ont appris à libéraliser leurs barrières tarifaires seulement lorsque leurs industries étaient devenues compétitives sur les marchés mondiaux, pas avant. Mais les pays en développement ayant ouvert leurs marchés de façon prématurée, les pays riches les ont inondés avec des produits agricoles et des biens manufacturés subsidiés ».

 

Il conclut en se demandant  »Avec une telle politique du développement, est-il surprenant que certains de ces millions de jeunes désillusionnés et en chômage finissent par rejoindre les multitudes de migrants économiques en cherchant à entrer aux Etats-Unis ou en Europe ou, pire, à rejoindre les rangs de l’Etat Islamique, Boko Haram et Al-Shabaad?».

 

Jean Feyder

Ancien Ambassadeur, membre du CA de l’ASTM et de SOS Faim