Tenue moderne pour cet apiculteur burkinabé qui veille sur ses ruches

Ici, sous nos latitudes industrialisées, elles disparaissent à une vitesse alarmante. Là bas, sous des températures caniculaires, dans une végétation essentiellement arbustive, elles s’adaptent et produisent un miel exceptionnellement parfumé. Prodige de l’adaptation, les abeilles survivraient donc mieux aux fortes chaleurs qu’à la pollution de nos climats tempérés…

La ville de Kaya, au Burkina Faso, est située en zone sahélienne. Les rythmes agricoles y sont tributaires de la saison des pluies qui a lieu entre les mois de mai-juin et août-septembre et qui permettent une récolte de céréales en novembre. Une fois engrangée la récolte des 3 à 5 hectares familiaux, les paysans doivent attendre les pluies de l’année suivante pour ensemencer le sol. On entre alors dans la « contre-saison », cette longue période de six mois où il n’y a ni activité ni revenu agricoles, et ou les familles sont livrées à une subsistance au jour le jour.

Pour pallier ces manques et dynamiser les populations rurales, des initiatives locales éclosent qui s’efforcent d’encourager des activités complémentaires et génératrices de revenus.

Parmi elles, l’ONG APIL (Association pour la promotion des Initiatives Locales)  est née en 1998 à l’instigation d’enfants du pays déterminés à œuvrer pour le développement local en proposant de l’alphabétisation, des renforcements de capacité, le tout dans une volonté d’améliorer la sécurité alimentaire des résidents ruraux. « Nous croyons dans les compétences endogènes », explique Abdoulaye Ouedraogo, le cofondateur et coordinateur d’APIL.

Depuis plus de 10 ans, différents programmes dans ce but sont menés de front : développement agricole pour l’aménagement du terroir et la récupération des sols touchés par la désertification, introduction de semences adaptées à des saisons de pluie de plus en plus courtes, ou encore l’élevage de races bovines plus performantes. Certains villages situés à proximité de retenues d’eau ou de forages sont plus favorisés car ce voisinage permet l’aménagement de jardins maraîchers qui procurent des revenus complémentaires significatifs. C’est toujours un petit miracle de voir pousser choux et tomates dans ces paysages arides où un seul point d’eau suffit à donner la vie à un périmètre cerné de désert…

Ailleurs, comme dans le village de Zakin où le maraîchage est impossible, où domine encore l’habitat traditionnel sans le moindre bâtiment en dur, et où, par 35° la température est  presqu’au plus bas de l’année, un groupe de mères allaitantes et de vieux sont réunis à l’ombre d’une paillote. Avec moins de 1000 habitants, ce village semble bien démuni. Passées les salutations et le mot de bienvenue, on voit surgir trois cosmonautes coiffés d’une cagoule bien peu adaptée à la chaleur. Armés d’une pompe en fer blanc, ils apportent avec eux un caisson métallique qui évoque un cercueil d’enfant. On se demande à quel rituel on va bien pouvoir assister mais bientôt, Abdoulaye traduit les propos du chef du village. Celui-ci se réjouit de pouvoir montrer aux visiteurs l’équipement moderne qu’APIL a bien voulu fournir à plusieurs apiculteurs du village. Non seulement ils sont mieux protégés et mieux équipés, mais surtout, ils sont formés à une technique de récolte du miel plus rationnelle. Dotée de cadres, la ruche métallique remplace avantageusement la ruche traditionnelle en vannerie dont on ne récupérait le miel qu’en chassant la colonie d’abeilles par le feu… Désormais, les apiculteurs récoltent de 15 à 20 kilos de miel par ruche contre seulement trois avec les anciennes ruches et ils peuvent compter sur trois récoltes par an car les abeilles n’abandonnent plus le bercail ! Equipés chacun de cinq ruches, les apiculteurs consignent dans un cahier leurs récoltes où l’on constate que les 18-20 kilos récoltés annuellement apportent une rente de plus de 90 000 CFA, soit près de 150 euros, ce qui représente une somme déjà considérable pour une famille de paysans sahéliens. « Nous sommes fiers d’en vivre », explique Adama, le président du groupement apicole qui est à l’origine de la demande de soutien adressée à APIL en 2008. Depuis son lancement, ce programme a permis l’attribution de 1000 ruches à 200 apiculteurs qui, comme s’il s’agissait d’un crédit,  remboursent au fur et à mesure la mise à disposition de l’outil. A ces bénéfices s’ajoutent les avantages indirects pour l’ensemble de la communauté, comme la préservation de la  couverture végétale. Alors que la population avait facilement tendance à prélever aveuglément des branchages pour le bois de chauffe, elle est désormais attentive à préserver cette fragile couverture  dont la persistance demeure essentielle à la survie des abeilles. Leurs ruches sont installées au pied des arbustes les plus denses pour les protéger des rayons solaires, et un abreuvoir est régulièrement alimenté à leur intention. Ainsi survivent-elles à des températures qui avoisinent couramment les 50° à l’ombre…

Dans le sillage de cette gestion rationalisée de la production apicole, APIL déborde d’idées complémentaires. A la « miélerie » tout juste construite à l’entrée de la ville de Kaya qui collecte et conditionne l’ensemble de la production,  Abdoulaye Ouedraogo prévoit d’ajouter une boutique et un espace « découverte-dégustation ». Réputé favoriser le développement intellectuel des jeunes enfants, le miel est également transformé en pommades cosmétiques pour ses vertus cicatrisantes. Pour faire connaître ses actions auprès de son public rural, APIL édite un bulletin trimestriel « en langue » ( c’est-à-dire en Mooré) intitulé Bangr Panga qui signifie « La force du savoir ».

A travers son initiative apicole, APIL illustre combien le développement a à gagner de l’encouragement des pratiques locales par l’amélioration des techniques et l’appui apporté à la commercialisation. Encadrés par des animateurs locaux, les villageois s’approprient les apports technologiques sans sacrifier le savoir traditionnel et tirent bénéfices de cette alliance. Aussi improbable que semble la vie des abeilles en milieu aride, les paysans adaptés à leur environnement ne demandent pas autre chose que de pouvoir mener la vie qui est la leur, sans se laisser condamner à la disparition…

Marine Lefebvre